Ils se sont sauvés d’une avalanche
22.03.2025 – À LA UNE, Le Nouvelliste
par Sopie dorsaz, Photo Sacha Bittel, Infographies ESH Studio

Grâce à un bon niveau de formation et des réflexes entraînés, Thibaud Lugon a pu sortir sa femme Sandrine emprisonnée sous une avalanche.
Il y a quatre ans, Sandrine et Thibaud Lugon ont survécu à une avalanche qu’ils ont déclenchée lors d’une randonnée à Nax. Aujourd’hui, ils partagent leur expérience pour appuyer l’importance de se former au sauvetage. Grâce à un bon niveau de formation et des réflexes entraînés, Thibaud Lugon a pu sortir sa femme Sandrine emprisonnée sous une avalanche.
De cette Saint-Joseph 2021, Sandrine et Thibaud Lugon s’en souviendront toute leur vie. L’hiver n’avait pas été très généreux en or blanc et ce jour férié offrait la perspective d’une belle randonnée dans une neige légère, tombée de la veille. Le degré de danger avalanche est marqué et dans le manteau neigeux, du sable du Sahara cache de mauvaises surprises.
Le couple de Salvan, accompagné d’un ami, met le cap sur Nax et gravit la Pointe de Masserey. Un premier couloir de la face nord à plus de 35 degrés est skié. La poudreuse amortit les virages et libère des endorphines en masse.
Grisé par cette première descente et confiant face à l’absence de signaux d’alarme, le groupe décide de recoller les peaux de phoque et tracer le couloir voisin. Au sommet, leur ami Benjamin s’élance en premier. Puis Sandrine. Tous deux se mettent à l’abri sous des rochers, là où la pente s’adoucit. «Je me souviens avoir ressenti du stress dans le couloir puis du soulagement une fois arrivée au fond.»
Vient le tour de Thibaud. Emporté par l’euphorie, il saute une petite barre de rochers au milieu de la pente. Son atterrissage déstabilise le manteau neigeux qui se fissure tout autour de ses skis et au-delà. «La cassure s’est répandue sur 300 mètres de large. Toute la pente s’est fissurée comme une toile d’araignée», image-til. Pour lui, une seule option, skier le plus vite possible droit devant.
Autour de Sandrine et Benjamin, la neige aussi se met en mouvement. Lui, trace dans la pente. Elle, tire sur sa gauche, espérant sortir de la zone avalancheuse. «Mais plus j’avançais, plus ça cassait.» Elle lâche ses bâtons, puis perd ses skis et se met à nager pour rester à la surface. «Je tournais dans tous les sens, mangeais de la neige. Et tout à coup, tout s’est arrêté et j’ai ressenti ce silence profond et morbide.»
La jeune femme sent que sa main gauche n’est pas loin du visage, elle essaie de la bouger. Impossible, elle est emmurée. «A ce moment-là, je me dis une seule chose «Reste calme, économise ton oxygène», avant de perdre connaissance.»
Aucun signal DVA dans un premier temps
Plus bas, Thibaud aussi ressent ce silence de mort. Mais durant 30 secondes, il ne voit pas la scène, aveuglé par l’aérosol de l’avalanche. «Quand j’ai découvert ce champ de guerre, j’ai tout de suite compris que c’était grave. J’ai rapidement repéré Benjamin mais pas Sandrine. Et je savais qu’elle ne portait pas d’airbag… » La panique le tétanise quelques secondes, qui lui paraissent des heures. Puis rapidement, il organise le sauvetage. «On a directement passé notre détecteur de victimes d’avalanche en mode recherche. Mais ni lui ni moi n’avions un signal, alors que nos appareils captent à 70 mètres à la ronde.»
La tête à l’envers sous 1 mètre 50 de neige Son ami inspecte l’avalanche vers le bas, lui remet ses peaux de phoque et remonte sur les boules compactées tellement rapidement qu’il manque, lui aussi, de perdre connaissance. Un signal apparaît. Sandrine est à 35 mètres. En s’approchant, il repère un point noir. Il s’agit de la semelle de sa chaussure.
Seul face à sa femme ensevelie, le montagnard comprend qu’elle est emprisonnée dans la masse de neige, la tête à l’envers. Il sort rapidement sa pelle et la libère petit à petit. «Quand je suis arrivée à la hauteur du ventre, j’ai vu son sac à dos et sa veste tordue. A la hauteur de la tête, Je m’attendais à voir son visage, mais j’avais ses cheveux. Je me suis dit qu’elle avait été broyée. C’était un ascenseur émotionnel.»
Il découvre ensuite le visage. Les lèvres bleues, la neige infil trée dans le nez, la bouche, les oreilles, jusque sous les ongles. Il ne perçoit aucune respiration. En la dégageant du trou de neige, il entend un râle. Couchée, la jeune femme reprend sa respiration de manière irrégulière, puis de façon plus stable. Sa peau se recolore. A ce moment-là, son conjoint appelle les secours. «Ce que je ne savais pas, c’est que des témoins de la scène avaient déjà contacté le 144.»

L’importance des gestes entraînés
Entre l’arrêt de l’avalanche et le dégagement de la victime, seize minutes se sont écoulées. «Ça m’a paru beaucoup plus long», souffle-t-il. «Mais j’ai finalement été assez efficace, étant donné que j’ai dû remonter dans ces boules de neige pour capter son signal DVA.» Passé ce quart d’heure, il le sait, les chances de survie baissent drastiquement.
Une chose est sûre, sans des gestes entraînés au sauvetage avalanche des dizaines de fois, Thibaud n’aurait certainement pas libéré sa femme en vie. «Je suis membre de la colonne de secours, j’ai fait l’armée à Andermatt et pratique beaucoup la montagne. Je me suis donc énormément formé. Sans cela, avec une telle dose de stress, ça me semble difficile d’avoir les bons gestes et d’être efficace.» Le couple est également conscient de ses erreurs de jugement. «On s’est laissé emporter par l’excitation, nous n’aurions jamais dû remonter skier ce deuxième couloir. En plus, nous étions un peu tard dans l’horaire pour un mois de mars.»
Le jeune homme regrette aussi d’avoir entraîné sa compagne sur une telle sortie. «La constitution du groupe selon le niveau de ski et l’engagement est importante. Jusque-là, on avait trop tendance à embarquer des gens motivés qui se retrouvaient dans des terrains qui ne leur correspondaient pas…»
Du déni à la prise de conscience
A l’hôpital, Sandrine ne mesure pas l’événement qu’elle vient de vivre. Mais l’angoisse grandit les jours qui suivent. «Le bruit d’un avion dans le ciel me rappelait le «woum» de la neige qui se rompt. Ça me paniquait.»
Ensemble, ils retournent en montagne pour regagner confiance. «Mais aujourd’hui encore, de la neige fraîche dans une pente me provoque du stress.» Trois mois après l’avalanche, ils regagnent le lieu de l’accident pour récupérer les skis et les bâtons, «simplement posés sur la neige, comme si de rien n’était». «C’était thérapeutique d’y aller et symboliquement très émouvant de retrouver mes affaires.»
Depuis, le couple est devenu parent. La montagne fait toujours partie de leur vie. Mais avec une autre conscience. «Je sais désormais que je fais de la randonnée à ski qu’avec des personnes qui se forment et ont des connaissances. Nous sommes nos assurances vie», conclut-elle.
